N’y allons pas par quatre chemins. Les romans du Chant du Cygne ne sont pas donnés. L’actualité morose du monde de l’édition (RIP ActuSF) semble être une occasion choisie pour discuter un peu de la santé du monde du livre. Qui n’est pas très bonne. Le constat, unanime, est attribuable à un ensemble de facteurs :
- La période Covid, durant laquelle le caractère « essentiel » des librairies était incertain pendant que, dans tous les cas, les clients potentiels étaient assignés à résidence, a creusé la trésorerie des maisons d’édition ;
- Une pénurie de papier durable qui fait exploser les coûts d’impression ;
- L’augmentation globale des prix de l’énergie qui augmente les frais postaux ainsi que toute prestation qui consiste à acheminer des livres d’un point A à un point B ;
- Un marché plus concurrentiel que jamais, en raison d’un nombre important d’acteurs indépendants (bonjour) et de l’essor de l’autopublication ;
- L’inflation, qui affecte les tarifs de l’ensemble des fournisseurs tout en exerçant une pression parfois mortelle sur le budget culture des lecteurs.
Les éditeurs font donc face à des impératifs contradictoires : d’un côté, répercuter les coûts de l’inflation sur les romans sous peine de voir leur marge fondre comme neige au soleil1Lui-même ne faisant pas de cadeaux avec le changement climatique.. De l’autre, baisser les prix afin de rester abordable dans un monde où boucler ses fins de mois devient un défi en soi. Deux options qui aboutissent au même résultat : moins de ventes, ou des ventes qui rapportent moins. Pour aggraver les choses, le secteur est suffisamment fragile pour que la chute d’un acteur (au hasard, un distributeur) en emporte d’autres dans son sillage.
Du coup, comment sont fixés les prix ?
Considérons à titre d’exemple notre prochaine sortie, Le Chemin de la Mort poudreuse, vendu 25 € dans le cas d’une vente via notre site :
Détaillons un peu. Pour commencer, il s’agit d’un roman très volumineux — 150 000 mots, ou plus de 900 000 signes (espaces comprises). Cela se traduit en 516 pages de roman, ce qui paraît raisonnable, mais notre maquette est assez trompeuse car nous avons choisi un format de page assez large. Notre imprimeur, en tout cas, ne s’est pas laissé abuser, et la confection de chaque exemplaire est facturée 17,75 €2Les imprimeurs disposent de prix préférentiels pour les maisons d’édition, mais à condition qu’elles publient des ouvrages à des rythmes et quantités inatteignables pour notre petite structure.. Les droits d’auteur pour les versions papier sont de 12 % : une proportion honnête et paraît-il, au-dessus de la moyenne habituellement constatée. Enfin, l’envoi d’un livre via Colissimo (la solution la moins chère que j’aie identifiée) nous coûte environ 8,30 € TTC pour un roman de 750 g, que nous refacturons seulement 4 € au client, bien conscients de l’effet dissuasif de frais de port trop élevés3Le saviez-vous ? La Poste égare en moyenne un de nos colis sur dix, et ne dédommage que de manière dérisoire..
Cela ne prend évidemment pas en compte l’investissement initial, qui s’élève à environ 1500 € chez nous (illustration de couverture et corrections) ni le budget publicitaire. Manque également sur ce camembert une part optionnelle de 30 % qui constitue la marge des libraires — ils doivent bien vivre, mais dans notre cas le gâteau est simplement trop petit pour pouvoir travailler avec eux4Il leur est cependant possible de commander Le Chemin de la Mort poudreuse directement auprès de l’imprimeur, auquel cas celui-ci nous reverse 4.65 €, dont 3.13 € reviennent toujours à l’autrice. Le reste de la répartition dans ce cas de figure est totalement opaque en ce qui me concerne..
Cela signifie-t-il que nous vendons à perte ? Pas tout à fait. Déjà, sur une commande de plus de 25 exemplaires, le prix par ouvrage tombe à 15.30 €, ce qui nous fait passer tout juste dans le positif (à condition d’écouler tout le stock, ce qui est évidemment illusoire). D’autre part, un certain nombre de ventes se font en salon où les frais de port ne s’appliquent pas.
En définitive, le prix de 25 € est le strict minimum qui nous permet de dégager une marge, même minime, sur chaque vente.
Les leçons à en tirer
Le premier enseignement vise avant tout les auteurs : pour augmenter vos chances de publication (avec n’importe quel éditeur), faites plus court. 350-400k signes, ça veut dire deux fois moins de pages et un colis deux fois moins lourd. L’équation financière ne devient pas lumineuse pour autant, mais sa nature change totalement, car on peut alors envisager des prix de vente compris entre 15€ et 20€.
Pour nous, ensuite : Le Chant du Cygne a la chance d’être une maison d’édition qui existe hors de toute contrainte économique. Si elle dégageait un jour du profit, ce serait merveilleux, mais le projet a été dimensionné avant tout comme un projet artistique à perte. Je peux dire avec le recul que si l’édition constituait mon activité principale, je n’en dormirais plus la nuit… Heureusement, ce n’est pas le cas, et le Chant du Cygne peut donc continuer son existence paisible sans jamais se soucier de rentabilité.
La complexification de la proposition financière nous pousse néanmoins à réorienter légèrement la stratégie de la maison d’édition en faveur du numérique.
Pas de panique : cela ne change quasiment rien pour ceux qui tiennent aux versions physiques de nos romans. Ils seront toujours disponibles sur notre boutique, nous continuerons de participer à certains salons, etc. Cette évolution se traduit par les mesures suivantes, avec effet immédiat :
- Une répercussion de l’augmentation des frais de port, qui passent de 4€ à 4.99€. Le code promotionnel qui permet de supprimer les frais de port reste disponible pour quiconque estime en avoir besoin (nos valeurs ne changent pas).
- Une baisse des prix des e-books, qui passent tous de 9.99€ à 7.50€. Les efforts de communication et marketing se focaliseront principalement sur eux à l’avenir.
- Un soin accru apporté aux éditions numériques. Déjà sans DRM, nos prochains EPUB bénéficieront d’une mise en page « reflowable5C’est-à-dire que les liseuses peuvent changer facilement la police d’écriture et la taille des caractères. » pour un confort de lecture maximal. Les romans déjà publiés seront mis à jour dans les mois à venir, sans frais pour les clients existants évidemment.
Conclusion
L’équipe du Chant du Cygne espère que ces informations vous permettront d’y voir un peu plus clair dans le fonctionnement d’une maison d’édition et de l’industrie du livre en général — en gardant à l’esprit qu’une petite structure indépendante comme la nôtre n’est pas nécessairement représentative. La transparence est une valeur importante pour nous, et il y a d’autres sujets sur lesquels nous comptons communiquer bientôt (les soumissions de manuscrits).
Si vous souhaitez soutenir Le Chant du Cygne, nous vous invitons donc à privilégier nos éditions numériques car c’est sur celles-ci que nous réalisons la marge la plus importante (mais si vous aimez l’objet livre, je comprends tout à fait). Vous pouvez également venir nous voir sur notre stand lors de la prochaine édition des Aventuriales. Et dans tous les cas, nous espérons que vous jetterez un œil à notre prochaine sortie !