Postface du Portrait de Dorian Gray

Je pourrais dire quelle chance insigne, quel immense honneur aura représenté pour moi la traduction de ce grand classique d’Oscar Wilde – des clichés ? sans doute, mais c’est on ne peut plus vrai !

Et tout cela, je le dois à mon éditeur, M. Ivan Kwiatkowski, qui m’a honorée de sa confiance, accompagnée et soutenue de ses conseils éclairés tout au long de cette magnifique aventure ! J’aimerais lui témoigner ici toute ma sincère gratitude. Car c’est pour moi en effet la chance de toute une vie !

Un texte aussi beau, aussi fascinant, et doté d’une extraordinaire architecture a ses exigences, d’autant qu’il porte sur un monde disparu, englouti dans les rapides du Temps et les maelströms des gigantesques bouleversements d’une époque pas si lointaine, des concepts et des symboles qui n’ont donc plus rien d’évident aujourd’hui – d’où cet audacieux déploiement de recherches donnant lieu à de nombreuses notes de bas de page. De fait, il s’agissait de jeter un éclairage précieux, bienvenu, sur les allusions et les nuances d’un écrivain de génie, de rendre justice à toute la richesse inouïe de sa palette aux tons envoûtants.

Et que dire de la Fatalitas, cette force surnaturelle qui entraîne les rouages implacables du destin du héros ? C’est le bulbe même, le cœur d’intrigue dont les ramifications chthoniennes, infernales, ne sont pas sans évoquer les profondes racines des fleurs vénéneuses qui irriguent tout le texte de leur singulier, de leur épineux mystère.

Noms propres comme noms communs, on le voit bien, dessinent eux aussi de surprenants entrelacs – tant il est vrai qu’Oscar Wilde a su tisser sur son fabuleux métier une fantastique tapisserie où chaque fil d’or et d’argent revêt son importance dans le tableau d’ensemble. C’est là tout l’art rare, original, exceptionnel d’un génie du Verbe, du symbole, d’un orfèvre de la beauté et de la parole qui fait sens, bref d’un très grand auteur hélas bien trop tôt disparu.

On ne peut que se prendre à rêver, puisqu’il s’agit là de son unique roman avant que la Mort ne le ravisse, des chefs-d’œuvre qu’il aurait encore pu offrir au monde si seulement il avait vécu…

Michèle Zachayus


Cher lecteur, lectrice,

Merci infiniment d’avoir lu cette nouvelle traduction du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. L’idée de travailler à nouveau sur un texte aussi connu peut paraître saugrenue, et je tenais donc à détailler les raisons qui m’ont poussé à entamer ce projet.

Une nouvelle version libre de droits

La première raison est personnelle : de manière amusante, page 147, Dorian Gray se prend de fascination pour un livre qualifié plus tard de « vénéneux ». Oscar Wilde mesurait-il à quel point le sien l’était ? Il est des œuvres qui ont l’étrange pouvoir de changer leur lecteur, et il ne fait aucun doute que Le Portrait de Dorian Gray a eu un tel effet sur moi lorsque je l’ai découvert, adolescent.

Revenant sur le texte bien plus tard, j’avais été chagriné de découvrir un certain nombre de contresens et le style perfectible de la traduction disponible dans le domaine public (par Eugène Tardieu en 1920). Il me semblait qu’un texte d’un tel calibre devait être accessible à tous et dans les meilleures conditions. J’ai donc pris contact avec Michèle Zachayus afin d’organiser une révision du texte… qui en pratique s’est muée en retraduction intégrale du texte original doublée de l’ajout de centaines de commentaires pour le contextualiser.

Fidèlement à l’intention de départ, le texte définitif est distribué sous les conditions de la licence Creative Commons 4.0 (BY-SA). Cela signifie que le texte peut être partagé librement par tout un chacun, mais aussi modifié, adapté, etc. — la seule obligation étant de redistribuer tout travail dérivé aux mêmes conditions.

Un travail minutieux de restauration

Si on sait généralement que Le Portrait de Dorian Gray a défrayé la chronique lors de sa parution initiale, plus rares sont ceux qui connaissent l’existence de deux versions du texte. Entre le premier et le second tirage du livre, Oscar Wilde a en effet apporté un grand nombre de modifications au texte initial qui s’est vu enrichi de six chapitres… mais aussi amputé de toute allusion homosexuelle, en particulier en ce qui concerne l’affection que Basil Hallward porte à son modèle. La version originale a été finalement révélée en 2011 par Harvard University Press, et traduite par Grasset avec la mention (quelque peu racoleuse) « non censuré ».

Il ne fait aucun doute que la seconde version est supérieure sur le plan littéraire, et que les chapitres supplémentaires grandissent l’histoire plutôt que de la dénaturer. Lors de la mise en place de ce projet, je me suis donc interrogé sur la version qu’il serait plus judicieux de publier. La réponse fut : aucune des deux.

J’ai choisi de pointer aussi scrupuleusement que possible les différences entre les deux versions du texte, afin de déterminer pour chacune d’entre elles si la modification relevait de l’autocensure ou de l’amélioration littéraire du texte. De concert avec Michèle, les passages susceptibles d’offenser la morale de l’époque ont donc été restaurés, tout en maintenant ce qui relevait manifestement d’un travail de correction normal. Par opposition aux éditions « non censurées » correspondant à la première version du texte, je préfère parler ici de version restaurée résultant de la fusion entre les deux éditions. C’est celle-ci, je crois, qui se rapproche le plus de la vision originale d’Oscar Wilde.

À l’intention du monde académique et de toute personne qui souhaiterait comparer les deux versions, je diffuse également ci-dessous mon document de travail : il s’agit de la V1 du Portrait de Dorian Gray (en version originale) annotée par mes soins, partout où j’ai relevé des changements avec la V2.

Les passages surlignés en jaune signalent des éléments coupés ou modifiés, tandis que les « + » marquent les insertions exclusives à la seconde version. Ces annotations permettront à tous de contrôler le bien-fondé de toutes les décisions que nous avons prises lors du travail de restauration.

J’espère que cette nouvelle version du Portrait de Dorian Gray vous aura permis de découvrir le texte dans les meilleures conditions, ou de le redécouvrir sous un nouveau jour. Merci mille fois d’avoir soutenu le Chant du Cygne !

Ivan Kwiatkowski